C'est en avril 2017 que je rencontre Jean-Paul*, il a 14 ans et est originaire de Guinée. À l'âge de 12 ans, après le décès de sa mère, lui et sa petite soeur sont confiés à leur grand-père. S'opposant à l'excision de sa jeune sœur, il est menacé de mort par sa communauté.
Jean-Paul décide alors de fuir son pays.
Son périple pour rejoindre la France dure plus d'un an. Afin de financer son voyage il trouve du travail en tant que manœuvre, puis découvre le métier de boulanger en Algérie. Pendant la traversée entre le Maroc et l’Espagne, le moteur du bateau de fortune tombe en panne. Il croit mourir.
« Si c'était à refaire, maintenant que je connais les conditions, je ne le ferais plus. »
Seulement quelques mois après son départ de Guinée, il apprend le décès de sa sœur, morte des suites de l'excision.
« La France c'est le pays de mes rêves. »
Jean-Paul choisit la France pour reconstruire sa vie car il a confiance, ce pays saura le protéger et lui permettre d'aller à l'école afin qu'il puisse travailler et vivre dignement.
En arrivant à Rouen, la police l'oriente vers l'ASE (Aide Sociale à l'Enfance) dont la mission est de protéger les mineurs en danger, qu'ils soient français ou non. Invoquant un manque de place, les services de l'ASE ne proposent pas d'aide à Jean-Paul.
Pendant plus d'un mois, ils le convoquent toutes les semaines, tentent d'authentifier sa minorité mais ne lui proposent pas d'endroit pour se loger ni de quoi se nourrir. Trouvant refuge chez Médecins du Monde pendant la journée, Jean-Paul passe ses nuits à errer seul dans Rouen.
Craignant de se faire agresser ou de mourir de froid, il s'oblige à marcher pour ne pas dormir.
Le 14 avril 2017, Jean-Paul a accepté que je le suive pendant une de ses nuits d'errance. Cette nuit là, à deux heures du matin, il faisait trois degrés.
« Ça va passer, les choses doivent se faire petit à petit, si Dieu le veut, ma situation va s'arranger. »
Après plusieurs semaines passées dans la rue et de nombreuses démarches auprès de l'ASE, sa minorité est enfin reconnue. Pendant plus d'un an, il bénéficie d'un accueil provisoire en hôtel. Malgré le fait qu'il soit à l'abris, il se sent seul. Il réclame une présence et un soutien éducatif que l'ASE peine à lui offrir, faute de temps alloué aux éducateurs chargés de le suivre.
Jean-Paul veut devenir boulanger, après s'être investi dans sa scolarité au collège dans une classe allophone, son but est d'intégrer un apprentissage en boulangerie. Il se met alors en quête d'un employeur. En pleine période de Ramadan, il passe ses journées à rayonner sur une vingtaine de kilomètres, à pieds pour trouver un patron. Quand il rentre à l'hôtel, il a souvent raté l'horaire du repas. Le gérant refuse de mettre sa part de côté, il rentre dans sa chambre le ventre vide et la tête pleine d'angoisses face à ses recherches d'employeur qui restent infructueuses. Il dort mal, mange très peu, se fatigue pendant ses longues journées de marche. Nous sommes en août 2018, Jean-Paul est épuisé physiquement et moralement, il devra être hospitalisé quelques temps à l'Hôpital de St Etienne du Rouvray pour se refaire une santé.
Pendant ce temps ses anciens professeurs du collège et son éducatrice ASE se mobilisent pour lui trouver un employeur. En septembre 2018 il intègre enfin son apprentissage en boulangerie. En parallèle, l'ASE l'oriente vers une prise en charge dans un appartement en semi autonomie encadré par des éducateurs.
Son employeur est géographiquement éloigné de son appartement. Nouvelle mobilisation de ses anciens professeurs. Un petit appartement lui sera prêté sur la commune pendant ces temps de stage. Stage qui sera écourté en juin 2019 car les conditions ne seront pas réunies pour lui permettre de s'épanouir dans son apprentissage. Nouvelle épreuve pour Jean-Paul. Et remise en route vers la recherche d'un employeur.
Se mêle à cela l'inquiétude de sa majorité arrivant à grand pas. Ses éducatrices l'accompagnent dans les démarches. Pendant les périodes de vérifications de sa minorité en 2017, la PAF (police aux frontière) a égaré ses documents originaux... Comment obtenir des documents lorsque l'on a fui sont pays et sa famille qui nous menaçait de mort. Les éducatrices et lui ne lâchent pas.
Ce sont de nouveaux longs mois d'attente et d'inquiétude. Jean-Paul veut son diplôme de boulanger mais comment faire sans employeur. Ne supportant plus de rester de longues journées dans l'attente il essaye alors un autre métier et fait de nouveaux stages en boucherie. Tout le monde est content de lui, mais personne n'a les moyens de prendre un apprenti.
Rayon de soleil, en février 2020 un boulanger accepte de prendre Jean-Paul. L'apprentissage est remis en route !
Le chemin est long et parsemé d'embûches mais Jean-Paul dit de lui qu'il est un Katala :
" Katala c'est l'homme qui se sortira toujours de toutes les situations. "
*Le prénom de Jean-Paul a été modifié à sa demande.